André Gide et les arts

Entrelacs gidiens

2018-2019

 

Installation en cinq parties : musique, théâtre, peinture, livre/littérature, poésie.

Commande de la fondation Catherine Gide pour les 150 ans de la naissance d’André Gide.

 

Exposée du 6 juin au 20 juillet 2019 à la galerie Gallimard, Paris / du 3 mai au 10 juin 2021
au Théâtre d
Angoulême.

 

L’écrivain André Gide peut être envisagé comme un prototype de la forme associative, juxtaposée, qui trouve une juste incarnation dans son Journal, mais aussi dans sa position solaire au sein d’un groupe de gens qui gravitaient autour de lui et entre lesquels il chercha à créer des liens.

 

Conçue comme un polyptyque, qui dispose précisément de parties séparées mais regroupées dans un cadre fédérateur, cette installation souhaite donner à voir l’amplitude des intérêts de Gide dans le champ de l’art en général, où il était à la fois créateur et récepteur (auteur, lecteur,
« regardeur », spectateur, interprète, auditeur).
Les différentes sphères artistiques à travers lesquelles il évoluait se rapportent aux lettres,
au spectacle vivant, aux arts visuels : le livre/la littérature, la poésie plus spécifiquement, les arts plastiques, le théâtre, la musique. Les évoquer, c’est toucher à ce qui l’a sans doute le plus animé, ému, travaillé dans sa vie.

 

Des cases, donc, des cellules, des contraintes, si utiles à l’art selon Gide. Car « L’art est toujours le résultat d’une contrainte. […] Il aime faire éclater ses gaines, et donc il les choisit serrées. […] L’art naît de contrainte, vit de lutte, meurt de liberté. » (De l’évolution du théâtre, 1904)

 

Dans chaque partie, « ça parle ». Gide en effet « parle » sans cesse, passe son temps à formuler et à mettre en mots. L’ensemble est donc alimenté par de nombreuses citations extraites de
ses écrits (Journal, Essais critiques [articles de presse, préfaces, études, etc.), correspondance, Cahiers de la Petite Dame) et complété d’un système audio – la lecture à haute voix fut pour lui une pratique constante.

Gide et la musique

 56 × 115 cm

 

Plaque d’Altuglas, clavier de piano, partition de musique découpée, résine.

 

Mains blanches : copie en résine
de mains attribuées
à Gide, réalisées par la Chirothèque française à une date inconnue (moulage en plâtre, ancienne collection Michel de Bry).

Main noire : copie en résine de
la main gauche de Frédéric Chopin (moulage en plâtre, musée de la Vie romantique, Paris).

 

Réalisation et tirage : 3DCompare.

 

« Chopin propose, suppose, insinue, séduit, persuade ;
il n'affirme presque jamais. » (Notes sur Chopin)

 

La musique constitue
une sorte de jardin secret :

le piano – résumé par Frédéric Chopin – a toute la ferveur de Gide, toute son attention, qu’il pratique toute sa vie. Une véritable nourriture.

 

Une sorte de piano à trois mains imaginaire – peut-être désiré ? – entre Gide et Chopin. Une rencontre matérialisée.

« Oui, j’ai passé avec Chopin plus d’heures que j’en ai passées avec personne d'autre, avec aucun auteur. Mais il est certain que ce n’est jamais en vue de l’exécution pour le public que j’ai étudié. » (La leçon de piano : conseils d'André Gide à Annick Morice, enregistrement sonore)


Gide et la peinture

90 × 120 cm

 

Tirage sur papier Fine Art Rag White, contrecollé sur dibond.

 

Maurice Denis, Hommage à Cézanne, 1900, huile sur toile, musée d’Orsay, 180 × 240 cm. Substitution des têtes d’Odilon Redon et de Marthe Denis par celles de Gide et de sa femme Madeleine, à l’extrémité droite.

 

La peinture est ici le représentant des arts
plastiques : l’écrivain a évolué dans un monde d’artistes, allant aux divers salons, acquérant et commandant des œuvres, modèle lui-même de façon régulière.

 

Gide fut l’heureux acquéreur du tableau de Maurice Denis en 1901, un tableau historique important, dont il fit don au musée du Luxembourg en 1928 lorsqu’il déménagea
au Vaneau.

Sur le chevalet, une œuvre
de Paul Cézanne, invisible ici, représente une nature morte. De gauche à droite sont portraiturés Odilon Redon, Édouard Vuillard, André Mellerio, Ambroise Vollard, Maurice Denis, Paul Sérusier, Paul Ranson, Ker-Xavier Roussel, Pierre Bonnard,
et Marthe Denis.

Au sujet de ce tableau,
Gide écrivait tardivement :
« À Paris nous retrouvions chez Mithouard, directeur de L’Occident, chez Lerolle, chez Arthur Fontaine, une élite de jeunes peintres également fervents et désintéressés […] Une grande toile, sans doute la plus sévère des œuvres de Maurice Denis, groupe les portraits de ceux-ci et le sien propre, dans la boutique de Vollard, réunis dans un commun Hommage à Cézanne, autour d’une “nature morte” de celui que le public tenait encore pour objet de scandale mais qu’ils reconnaissaient pour leur maître. Cette toile qui me plaisait entre toutes, sans doute en raison de son austérité même, avant de prendre place au musée du Luxembourg, habita longtemps mon intimité. Elle me semblait consacrer l’amitié de tous ces artistes entre eux, et celle même que je portais à Maurice Denis et à eux tous, dont Bonnard reste le seul survivant. »

 

L’un des attributs stylistiques de Gide, c’est la mise en

abyme. Serait-ce la raison pour laquelle il aima cette œuvre ? C’est en tout cas celle pour laquelle le tableau est reproduit dans le tableau, qui est reproduit dans le tableau, qui est reproduit dans le tableau.

Gide et le théâtre

50 × 35 × 40 cm

 

Maquette de scénographie : bois, Canson imprimé, tissu, papiers divers, rodoïd imprimé, fil de nylon, goupilles fendues, guirlande lumineuse à leds, fil de cuir.

 

Personnages :

- Lafcadio Wluiki, Geneviève de Baraglioul et Amédée Fleurissoire, d’après les projets de costumes de Jean-Denis Malclès pour Les Caves du Vatican, mise en scène Jean Meyer, Comédie-Française, 1950 (archives de la Comédie-Française) ;

- Œdipe et Antigone (photo Manuel Frères, Œdipe, mise en scène Georges Pitoëff, théâtre de l’Avenue,

1932 [BnF]) ;

- le Frère Puiné et l’Enfant Prodigue (photo Boris Lipnitzki, Le Retour de l’Enfant Prodigue, mise en scène Jean Marchat, théâtre des Mathurins, 1949 [BnF]) ;

- Perséphone (maquette  de costume d’André Barsacq pour le ballet Perséphone, musique Igor Stravinsky, mise en scène Jacques Copeau, Opéra de Paris, 1934
[BnF]) ;

- Saül (photo de presse Henri Manuel, Saül, mise en scène Jacques Copeau, théâtre du Vieux-Colombier, 1922 [BnF]).

 

Décor : le compartiment d’un wagon, 13e tableau, d’après le projet de Jean-Denis Malclès pour Les Caves du Vatican, mise en scène Jean Meyer, Comédie-Française, 1950 (archives de la Comédie-Française).

 

Diverses citations de Gide sur
la question théâtrale.

 

Le théâtre est un art ambivalent pour Gide : il écrit des textes dramatiques, aime passionnément Racine et Shakespeare, mais c’est
un piètre spectateur, presque toujours insatisfait, souvent incapable de voir un spectacle jusqu’au bout.

 

Le visage de chaque personnage a disparu au profit d’une photo de la tête de l'écrivain, en écho à son emploi régulier de la parodie. Saynète dans ce wagon de train où Lafcadio est devenu l’incarnation de l’acte gratuit.


Gide et la poésie

30 × 250 cm

 

Impression sur tissu.

 

« La Poésie, grain de grenade où se resserre le génie. » (André Gide, préface à l’Anthologie de la poésie française)

Fichier réalisé à partir de photographies des pages
de cette préface.

 

Dans le champ littéraire, la poésie a un statut séparé pour Gide, art à part entière, art majeur incarné par son grand maître Mallarmé.

Une banderole pour déclarer haut et fort l’amour qu'il vouait à celle-ci.

Gide et le livre / la littérature

44 × 65 cm

 

Tiroir à casse d’imprimerie, fil de cuivre, stylo à encre, papier, papier imprimé découpé, carton mousse, livre découpé, fil de cuir, patience.

 

Citations de Gide sur
un auteur ou un ouvrage.

 

Le livre / la littérature sont
la grande affaire de la vie de Gide, lui qui écrit bien sûr mais lit sans réserve, sans retenue, sans cesse. Il y a le texte – les auteurs qu’il admire –, mais aussi la fabrication de l’objet livre, à laquelle il participait (Éditions de la NRF, puis Gallimard).

 

Tous les mots ont été découpés ou recomposés à partir du recueil Plume d’Henri Michaux. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Gide voulut faire une conférence sur lui, mais celle-ci fut interdite
(lire Découvrons Henri Michaux, Gallimard, 1941).

 

Abécédaire non exhaustif des auteurs/lectures favori-te-s de Gide, chacun-e étant à peu près installé-e dans sa case. Le recyclage du texte de Michaux renvoie au palimpseste, à l’intertextualité,
au processus de réécriture régulièrement mis en œuvre par Gide.


Bande-son

 

André Gide, Les Poésies d’André Walter, lues par le comédien Emmanuel Daumas ; extraits de la préface à l’Anthologie de la poésie française, de l’article Lettre à Angèle [VIII], de l’étude Verlaine et Mallarmé

et de l’Hommage à Stéphane Mallarmé, lus par Juliette Solvès.

Extraits musicaux du Clavier bien tempéré de Jean-Sébastien Bach, interprété par Glenn Gould.

 

Quelques mots de Gide
en bouche, lui qui pratiqua

sa vie durant la lecture à haute voix, particulièrement

auprès de sa femme Madeleine, entremêlés à un choix de préludes et fugues du Clavier bien tempéré, qu’il apprit et joua si régulièrement. Dans les deux cas, il s’agit de trouver le rythme juste.

 

« Il y avait chez moi un grand désir d’apporter une sorte de métrique nouvelle. » (à propos des Poésies d’André Walter, entretiens radiophoniques avec Jean Amrouche, 1949)

 

« Préludes ou fugues du Clavecin… quand je songe à

cette bonne vingtaine (au moins) que je savais par cœur, imperturbablement, et pouvais impeccablement jouer “d’enfilée” (comme disait X.)

– auxquels j’ai dit adieu pour toujours – il me prend une sorte de rage contre moi-même, de désespoir.

Mais tout ce temps que je passais à les entretenir !

Certes j’en ai tiré beaucoup d’instruction ; je n’en
tirais plus qu’un certain équilibre heureux, un consentement quasi séraphique, comparable à cette sérénité que le chrétien cherche, et trouve, dans la prière ; mais je m’y réfugiais trop volontiers. Cette perfection qui m’était offerte (où les mathématiques pures se mettent à palpiter, à sourire : incarnation de la nécessité) me suffisait trop et me déconseillait l’effort…

Parlons plus simplement : d’autres, et en grand nombre, jouent et joueront Bach aussi bien et même beaucoup mieux que moi. Il n’y faut pas tant de malice. »

(Journal, 8 février 1934)